Mardi 8 décembre 2020

« Pour l’instant, je me raccroche à l’Australie »

Isabelle était en ligne ce matin avec l’Organisation du Vendée Globe. Un mois jour pour jour après le départ de la course, notre navigatrice partage son état d’esprit, alors qu’elle évolue depuis plus d’une semaine dans les mers du sud. Loin d’être simple à aborder, l’Océan Indien lui donne bien du fil à retordre ! Avec l’enchaînement des dépressions, Isabelle vit le sentiment étrange d’un espace-temps qui s’étire… Prochaine étape : le cap Leeuwin au sud de l’Australie !

« Ça va bien aujourd’hui. Même si je trouve cela un peu usant, je commence à me faire à ces conditions qui ne sont pas faciles, je dois bien l’avouer. On est secoué par une mer pas simple et des vents qui tournent beaucoup et qui accélèrent et décélèrent en permanence. Il n’y a pas vraiment de constance à bord. Soit le bateau va trop lentement, soit il se met à accélérer d’un coup ! Il faut alors faire attention à ne pas finir entre deux vagues. Ce n’est pas de tout repos !

Je pense que ce doit être pareil pour mes concurrents. On a énormément réduit notre pourcentage de potentiel. Je n’imaginais pas que l’on pouvait autant réduire nos vitesses. C’est juste impossible d’avancer vite dans des conditions pareilles. Par rapport à la flotte, je suis mon positionnement et mes vitesses. J’essaye surtout d’écouter mon feeling et la manière dont je ressens mon bateau. J’y vais tout doux, j’essaie au maximum de préserver mon bateau. Cela fait un peu plus d’un mois que je suis en mer, je sens qu’il commence à y avoir de l’usure, et si je veux que mon bateau finisse le tour, il va vraiment falloir faire attention à lui.

Avant le départ je me voyais potentiellement bien placée. Mais je ne me rendais pas compte de ce que cela coûtait de bien se placer et je n’imaginais pas du tout avoir un début de course digne d’un galérien ! Je pense que je l’avais imaginé un peu moins dur, surtout psychologiquement. Tu me demandes si je prends du recul au bout d’un mois. Alors oui, ça fait plus d’une semaine que je suis dans les mers du sud. Je m’interroge : qu’est-ce que je fais là ? Qu’est-ce que je vais rencontrer là ? Ce que je vois, c’est que je me sens quand même une toute petite chose. Devant les éléments je me sens plus fragile que dans l’Atlantique, et ça je ne l’avais peut-être pas autant anticipé.

Franchement, je me demande combien de temps ça va durer ! Est-ce que les mers du sud ça tape pendant un mois ? J’aimerais bien qu’on me le dise parce que je vais devenir dingue ! (rires) Heureusement que j’ai la cartographie qui me permet de me raccrocher à certaines choses. J’ai le Cap Leeuwin qui m’attend au sud de l’Australie. Je ne sais pas du tout si ça va être confortable mais c’est un peu comme quand on fait de l’escalade ; on s’accroche à un point un tout petit peu plus haut. Là, pour moi, c’est l’Australie et ensuite viendra la Nouvelle Zélande puis l’entrée dans le Pacifique. Je me demande honnêtement si ça va être dur pendant plus d’un mois. Je suppose qu’il y aura aussi des périodes de calme. Dans une grosse semaine, on va être pris dans un anticyclone et ça fera certainement du bien pour réparer aussi un peu le bateau. Pour l’instant je me projette à moyen / court terme (deux / trois jours). Je sais que le temps passe et que je vais m’habituer. Paradoxalement, les journées passent assez vite, alors que les jours se ressemblent. La notion du temps a changé. Avant, chaque journée était différente, avec de l’action. Ici j’ai la sensation que le temps s’étire. Je ne sais pas trop comment gérer tout cela. Pour l’instant, je me raccroche à l’Australie. »

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